Le CÉRSÉ est impliqué depuis 2016 dans un projet de recherche s’intéressant à un dispositif participatif pour des enjeux sociaux techniquement complexes, la consultation par consensus informé (CCI)[1] et son adaptation en situation de controverse socio-environnementale. Rappelons que ce projet visait à proposer par ce dispositif à des municipalités régionales de comté (MRC) des recommandations émanant de leurs citoyens et à évaluer l’utilité de la CCI.

La CCI, connue sous différentes appellations dans le monde, a été expérimentée au Québec par Pierre de Coninck à la fin des années 90 dans le secteur de la santé publique et la gestion des déchets (De Coninck, 1997; De Coninck et al., 1998). Il en ressort un processus en quatre étapes (Lafortune, 2019) :

  1. Préparation : un comité organisateur précise avec le commanditaire de la consultation ses besoins et la question à poser au comité citoyen. Dans notre projet, la question était : « Quels sont les territoires de la MRC que vous considérez comme étant incompatibles avec l’activité minière? » À cette étape, il y a rédaction d’un guide pour les participants et le recrutement de citoyens volontaires.
  2. Autoformation du comité citoyen et forum public : lecture des guides, rencontres pour délibérer sur le sujet et choisir les questions à approfondir avec des experts, identification des experts à inviter et forum public pour interroger les experts.
  3. Rédaction des recommandations : les citoyens du comité délibèrent et écrivent les recommandations.
  4. Conférence de presse : diffusion des recommandations.

Dans le cadre de ce projet, une première CCI a eu lieu dans la MRC Vallée-de-l’Or (Abitibi) au cours de l’automne 2017 et une deuxième s’est tenue au printemps 2018 dans la MRC Des Sources (Asbestos et Saint-Camille).

Les chercheurs, Ariane Lafortune (directrice du projet et professeur de sciences politiques au cégep Édouard-Montpetit), Yoseline Leunens (stagiaire postdoctorale, Université de Montréal) et Pierre De Coninck (Université de Montréal) s’intéressaient, entre autres, à l’apport du savoir profane (représenté ici par la participation de citoyens généralistes) au cours de processus de consultation délibérative. Leur réflexion est étoffée dans un article à paraître.[2] Ariane Lafortune présente dans un autre article à paraître[3] les adaptations faites à la CCI dans les MRC Vallée-de-l’Or et des Sources. Le CÉRSÉ par le biais de son conseiller en transfert Mathieu Madison, qui agissait comme animateur des CCI, a contribué activement à adapter le design de l’animation de CCI au contexte particulier de la controverse socio-environnementale de l’exploration et l’exploitation minière dans ces deux MRC. Voici les principales adaptations qui ont été faites.

 

Place à la divergence

Le cadre mis en place par Mathieu consistait en trois phases : la divergence, l’émergence et la convergence. La phase de divergence est importante pour désamorcer les conflits : tous ont l’assurance d’entre entendus afin que leurs préoccupations soient prises en compte. Elle prépare ainsi l’émergence d’une foule de pistes de réflexion qui ont lieu au sein du groupe. Elle permet par la suite d’obtenir un consensus sur ce qui fait l’unanimité et ce sur quoi on demeure en désaccord.

 

Disposition de salles pour encourager le dialogue

Dans le modèle classique de la CCI, les rencontres d’information et le forum public utilisent un format classique d’assemblée avec présentateurs en avant. C’est ce qui a été reproduit dans notre première CCI dans la Vallée-de-l’Or. Dans un contexte de controverse, un climat de méfiance peut s’installer entre les organisateurs et les citoyens. Lors de la CCI dans la MRC des Sources, pour les séances d’information et de recrutement, une disposition en cercle, qui inclut les organisateurs, a favorisé les échanges en limitant la distance hiérarchique entre les présentateurs et le public. Lors du forum, les membres du comité citoyen étaient dans le public. Les experts ont fait une courte présentation suivie d’un cercle de discussion en plusieurs ateliers. Ceci a encouragé la participation du public et le dialogue. Dans chaque atelier, les participants devaient écrire sur une feuille d’un côté les dimensions du problème à prendre en compte avec, en face, les solutions possibles, favorisant la diversité des points de vue et le travail constructif.

 

Intégration des parties prenantes

Dans la version initiale de la CCI, les personnes recrutées pour le comité de citoyens ne devaient pas être impliquées dans une organisation favorisant une position plutôt qu’une autre. Il s’est avéré impossible de suivre cette règle de neutralité dans la MRC de Vallée-de-l’Or où tout le monde travaille ou a un parent qui travaille dans l’industrie minière et où exclure les citoyens engagés diminuait l’acceptabilité sociale de la démarche.  Il a été décidé d’inclure formellement les parties prenantes dans le processus. Les membres des groupes militants pouvaient être recrutés par les organisateurs pour participer au comité citoyen en leur nom propre, mais pas à titre de porte-parole d’un groupe.

Pour la CCI à la MRC des Sources, les travailleurs miniers étaient invités, mais les cadres étaient placés dans la catégorie d’expert-partie prenante. Nous avons distingué le rôle des parties prenantes de celui des citoyens et de celui des experts.

Nous avons fait deux guides du participant : un traitant du secteur minier et un autre décrivant la région et intégrant des informations recueillies par des entrevues avec les parties prenantes.

Il a bien été expliqué aux parties prenantes que le comité citoyen allait être indépendant et anonyme jusqu’au forum public où les parties prenantes et tous les citoyens allaient être invités. Dans notre deuxième expérience, il a été proposé aux parties prenantes de faire leurs propres recommandations et de les transmettre à la MRC.

 

En conclusion, notre projet a montré que le design d’une approche participative doit pouvoir s’adapter au contexte social et à l’historique de consultation de la collectivité qu’on veut faire participer afin qu’elle puisse être aussi inclusive que possible.

 

[1] La consultation par consensus informé dans le secteur des mines, projet du cégep Édouard-Montpetit en collaboration avec le CÉRSÉ financé par le Fonds d’innovation sociale destiné aux communautés et aux collèges du Conseil de recherche scientifique en sciences humaines du Canada. 

[2] Lafortune, A., Leunens, Y. et Pierre De Coninck. 2019. Délibérations citoyennes et désignation de territoires incompatibles avec l’activité minière.

[3] La fortune, A. (2019). « La parole citoyenne et la délibération en situation de controverse socio-environnementale».

Références

  • De Coninck, P. (1997). « L’implication des citoyens ordinaires dans le processus d’aide à la décision en santé publique ». Ruptures, vol 4, no 2, 1997, p. 152-162.
  • De Coninck, P., M. Séguin, E. Chornet, L. Laramée, A. Twizeyemariya, N. Abatzolglou, L. Racine. (1998). « Citizen Involvement in Waste Management : An Application of The STOPER Model via an Informed Consensus Approach ». Environmental Management. Vol. 23, no 2., p. 87-94.
  • Lafortune, A. (2019). « La parole citoyenne et la délibération en situation de controverse socio-environnementale ». Communication dans le cadre du congrès de l’ACSP, session Local Deliberative Democracy II, 16 p.